Dans une société anonyme, la gestion des bénéfices est un levier clé de gouvernance. Une entreprise peut légitimement décider de mettre en réserve une partie de ses profits afin de financer des investissements futurs, renforcer sa solidité financière ou se prémunir contre des risques économiques.
Toutefois, lorsque cette pratique devient un moyen détourné pour les actionnaires majoritaires de priver les minoritaires de leur droit aux dividendes, elle peut être sanctionnée pour abus de majorité. L’arrêt rendu par la cour d’appel de Nîmes le 22 novembre 2024 illustre parfaitement cette problématique.
Une société avait systématiquement affecté ses bénéfices aux réserves, alors même qu’elle n’avait ni projet d’investissement ni dettes justifiant une telle accumulation. L’actionnaire minoritaire, lésé par cette pratique, a contesté cette décision en justice et obtenu l’annulation de la résolution litigieuse.
Cet article revient sur les critères de l’abus de majorité, les enseignements de cette décision et les recours possibles pour les actionnaires minoritaires.

1 - L’abus de majorité : définition et cadre juridique
1.1. Une décision contraire à l’intérêt social
Pour être sanctionné, un abus de majorité doit tout d’abord aller à l’encontre de l’intérêt social. La mise en réserve des bénéfices peut être une décision stratégique si elle est justifiée par des projets concrets ou des besoins économiques précis.
Cependant, lorsqu’elle devient une simple politique de thésaurisation, sans finalité claire, elle peut être remise en cause. Dans l’affaire examinée par la cour d’appel de Nîmes, la société concernée avait :
✔ Accumulé des réserves excédentaires sans nécessité économique avérée.
✔ Exclu toute distribution de dividendes aux actionnaires minoritaires, malgré des bénéfices conséquents.
✔ Justifié cette pratique par un argument de prudence, alors même que la société ne faisait face à aucun risque financier particulier.
Ces éléments ont conduit les juges à considérer que la mise en réserve des bénéfices n’avait pas été prise dans l’intérêt de la société, mais pour favoriser les actionnaires majoritaires.
1.2. Un avantage injustifié pour les actionnaires majoritaires
Le second critère caractérisant l’abus de majorité est l’intention de favoriser les majoritaires au détriment des minoritaires. Dans cette affaire, les actionnaires majoritaires percevaient des avantages en nature, notamment l’occupation gratuite d’un bien immobilier appartenant à la société, tandis que l’actionnaire minoritaire, qui détenait 43,36 % du capital, ne bénéficiait d’aucune rétribution.
✔ Une rupture d’égalité : les actionnaires majoritaires bénéficiaient d’avantages économiques injustifiés, contrairement au minoritaire.
✔ Un détournement de l’affectation des bénéfices : au lieu de répartir équitablement les profits, les majoritaires ont choisi une politique qui servait leurs propres intérêts.
Face à ces éléments, les juges ont conclu que la mise en réserve des bénéfices n’avait pas de justification légitime et constituait un abus de majorité.
2 - Une jurisprudence constante en matière d’abus de majorité
2.1. Une ligne jurisprudentielle bien établie
La jurisprudence considère depuis longtemps que la mise en réserve systématique des bénéfices peut être annulée si elle est contraire à l’intérêt social et défavorable aux minoritaires. Depuis l’arrêt fondateur de la Cour de cassation du 24 janvier 1995 (Cass. com., 24 janv. 1995, n° 93-13.273), la règle est claire :
✔ Les décisions de mise en réserve doivent être justifiées par un intérêt social clair.
✔ L’absence de projet d’investissement ou de nécessité économique peut caractériser un abus.
✔ Les actionnaires minoritaires peuvent contester ces décisions devant les tribunaux.
Dans l’affaire jugée, la cour d’appel de Nîmes a appliqué ces principes en considérant que la politique de mise en réserve était excessive et injustifiée.
2.2. Une résolution annulée par la cour d’appel de Nîmes
L’annulation de la résolution litigieuse repose sur plusieurs constats clairs :
✔ Une absence totale de justification économique : la société n’avait ni dettes importantes, ni projet d’investissement nécessitant une telle accumulation de fonds.
✔ Une rupture d’égalité flagrante : l’actionnaire majoritaire profitait d’avantages non justifiés, tandis que le minoritaire était exclu de toute rétribution.
✔ Une volonté de priver le minoritaire de ses dividendes : en l’absence de toute nécessité de mise en réserve, la décision prise par l’assemblée générale poursuivait un but purement stratégique, au détriment d’un des associés.
Face à ces éléments, la cour d’appel a conclu à un abus de majorité caractérisé et a annulé la résolution litigieuse.
3 - Les enseignements à tirer pour les actionnaires et dirigeants
3.1. Comment éviter un abus de majorité ?
Pour éviter qu’une mise en réserve des bénéfices soit contestée en justice, les actionnaires majoritaires doivent respecter certaines règles :
✔ Justifier toute mise en réserve par des besoins économiques concrets (investissements, remboursement de dettes, stabilité financière).
✔ Maintenir une politique équilibrée de distribution des dividendes, afin d’éviter que les minoritaires ne soient exclus du bénéfice social.
✔ Éviter les avantages indus pour les actionnaires majoritaires, qui pourraient être perçus comme une captation déguisée des bénéfices.
3.2. Quels recours pour un actionnaire minoritaire lésé ?
Si un actionnaire minoritaire estime être victime d’un abus de majorité, il peut :
✔ Demander l’annulation de la résolution litigieuse devant le tribunal de commerce.
✔ Réclamer des dommages et intérêts pour le préjudice subi.
✔ S’appuyer sur la jurisprudence pour prouver l’absence de justification légitime à la mise en réserve.
Dans cette affaire, l’actionnaire minoritaire a obtenu gain de cause, prouvant que les décisions d’assemblée générale doivent respecter un équilibre entre les intérêts de tous les actionnaires.
4 - Conclusion : une vigilance nécessaire sur la gestion des bénéfices
Cette affaire rappelle que la mise en réserve des bénéfices ne peut pas être un outil de contrôle unilatéral des majoritaires. L’abus de majorité est une dérive sanctionnée, et les actionnaires minoritaires disposent de moyens juridiques pour faire valoir leurs droits.
✔ Toute mise en réserve des bénéfices doit être justifiée par un objectif économique réel.
✔ Les avantages en nature perçus par les actionnaires majoritaires doivent être justifiés.
✔ Les actionnaires minoritaires peuvent contester une mise en réserve abusive en justice.
L’équilibre entre actionnaires majoritaires et minoritaires est essentiel pour garantir une gouvernance saine et transparente. Toute décision de répartition des bénéfices doit être prise en toute transparence et servir l’intérêt de la société dans son ensemble.
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