Accueil     Droit des Baux commerciaux     Avocat bail commercial : obligation de délivrance et jouissance paisible

Avocat bail commercial : obligation de délivrance et jouissance paisible

Auteur : Noémie Le Bouard   Mise à jour :   Lecture : 5 minutes

Consulter cet expert du droit

L’avocat bail commercial analyse l’arrêt du 10 juillet 2025 confirmant que l’obligation de délivrance du bailleur est continue.

  SOMMAIRE :

    L’arrêt du 10 juillet 2025 de la Cour de cassation rappelle avec force que l’obligation de délivrance du bailleur dans un bail commercial n’est pas ponctuelle mais continue. Cette précision, essentielle pour la sécurité juridique des preneurs comme pour la responsabilité des bailleurs, confirme la nécessité de maintenir la jouissance paisible des locaux tout au long du contrat.

    Avocat bail commercial

    1 - L’importance de l’obligation de délivrance pour le bail commercial

    Dans la pratique du bail commercial, l’avocat bail commercial est fréquemment sollicité par des locataires confrontés à un problème de jouissance des locaux. La question revient souvent : l’obligation du bailleur de délivrer les lieux et d’en garantir la jouissance paisible s’éteint-elle après la remise des clés ou perdure-t-elle pendant toute la durée du contrat ?

    La Cour de cassation, dans un arrêt du 10 juillet 2025 (Cass. 3e civ., n° 23-20.491), a apporté une réponse claire et ferme : l’obligation de délivrance du bailleur est continue et demeure exigible tout au long du bail. Cette précision jurisprudentielle est fondamentale car elle clarifie les droits du preneur et les devoirs du bailleur dans la durée.

    Le cadre légal : articles 1709 et 1719 du Code civil

    L’article 1709 du Code civil définit le bail comme « un contrat par lequel l'une des parties s'oblige à faire jouir l'autre d'une chose pendant un certain temps, et moyennant un certain prix ».

    De ce texte découle un principe simple : le bailleur doit non seulement remettre les locaux au locataire, mais aussi les maintenir dans un état conforme à leur destination pendant la durée du bail.

    L’article 1719 précise cette obligation en énonçant trois devoirs essentiels du bailleur :

    • délivrer au preneur la chose louée,
    • entretenir cette chose afin d’en permettre la jouissance,
    • en assurer la jouissance paisible pendant le bail.

    Si la doctrine considérait autrefois que seule l’obligation de jouissance paisible se prolongeait dans le temps, la Cour de cassation rappelle que l’obligation de délivrance n’est pas figée au moment de l’entrée dans les lieux mais doit être respectée de manière continue.

    Le rappel jurisprudentiel du 10 juillet 2025

    L’affaire à l’origine de cette décision illustre parfaitement les tensions possibles en matière de bail commercial. Une société locataire, exerçant une activité d’exploitation forestière et de négoce de bois, s’était vue privée d’une partie substantielle de la surface louée.

    Le bailleur avait en effet construit un hangar et un parking sur une partie du terrain, avant de les louer à un tiers. Cette situation avait mécaniquement amputé d’un tiers l’assiette du bail initial et restreint l’accès aux bâtiments encore loués.

    Le locataire a alors saisi la juridiction pour obtenir la résiliation du bail. La cour d’appel avait jugé son action prescrite, estimant que le délai de prescription de cinq ans (article 2224 du Code civil) commençait à courir dès la connaissance par le preneur de la réduction de la surface.

    La Cour de cassation a censuré cette analyse. Elle a rappelé que tant que le manquement du bailleur persiste, la prescription ne peut commencer à courir. L’action reste donc recevable tant que l’atteinte au droit de jouissance du locataire perdure.

    2 - Une obligation de délivrance désormais reconnue comme continue

    L’apport majeur de cette décision réside dans la reconnaissance explicite du caractère continu de l’obligation de délivrance. Désormais, si le bailleur modifie les conditions de jouissance des lieux après l’entrée en possession du locataire, il viole toujours son obligation de délivrance.

    Cette solution s’inscrit dans le prolongement de décisions antérieures (Cass. 3e civ., 10 septembre 2020, n° 18-21.890 ; Cass. 3e civ., 30 juin 2021, n° 17-26.348) qui allaient déjà dans le sens d’une protection renforcée du preneur. Mais la décision de 2025, publiée au Bulletin, confère une portée normative plus forte à ce principe.

    Les conséquences pour les bailleurs

    Pour les bailleurs commerciaux, cette jurisprudence impose une vigilance accrue. Pendant toute la durée du contrat, le bailleur doit s’abstenir de tout acte qui réduirait la surface louée ou compromettrait l’accès aux locaux.
    À défaut, il s’expose à :

    • une action en résiliation du bail,
    • une demande d’indemnisation pour trouble de jouissance,
    • voire les deux cumulées.

    Il ne suffit donc plus de bien rédiger l’état des lieux d’entrée et de délivrer initialement le bien conforme au bail. Le bailleur doit s’assurer en permanence que la consistance du bien et les conditions d’accès n’ont pas été modifiées au détriment du locataire.

    Les droits renforcés du preneur

    Pour le locataire, cette solution constitue une garantie précieuse. Même plusieurs années après la survenance du trouble, il conserve la possibilité d’agir tant que l’atteinte se poursuit.

    Cette protection est particulièrement importante pour les baux commerciaux, souvent conclus pour une durée longue et engageant des investissements conséquents : aménagement des locaux, acquisition de matériel, développement d’une clientèle de passage attachée au lieu.

    Le preneur bénéficie donc d’un levier juridique qui lui permet de ne pas subir passivement une modification unilatérale des conditions de jouissance par le bailleur.

    La question de la prescription

    L’article 2224 du Code civil prévoit que les actions personnelles se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

    La cour d’appel avait retenu une interprétation stricte : prescription déclenchée dès la connaissance du trouble.
    La Cour de cassation corrige cette approche. Le délai de prescription ne commence à courir qu’à compter de la cessation du manquement. Tant que l’atteinte se prolonge, l’action est donc toujours recevable.

    Cette analyse protège efficacement le preneur contre la mauvaise foi ou l’inertie du bailleur.

    La portée économique de cette décision

    Au-delà de la stricte technique juridique, l’arrêt du 10 juillet 2025 a une dimension économique. Dans un bail commercial, l’équilibre contractuel est fondé sur la mise à disposition d’un outil de travail. Réduire la surface, entraver l’accès ou altérer la jouissance, c’est toucher directement à l’exploitation de l’entreprise locataire.

    La Cour de cassation réaffirme donc que le bail est un contrat à exécution successive et que sa substance — la mise à disposition des locaux convenus — doit être maintenue dans le temps.

    3 - Les enseignements pratiques pour les acteurs du bail commercial

    Pour les bailleurs

    • éviter toute modification des lieux loués sans l’accord exprès du preneur,
    • s’abstenir de louer à un tiers une partie du bien déjà donnée à bail,
    • respecter les conditions d’accès et les servitudes prévues.

    Pour les locataires

    • surveiller attentivement les modifications matérielles des lieux,
    • conserver la preuve des troubles de jouissance rencontrés,
    • consulter un avocat bail commercial pour envisager les actions adaptées (résiliation, indemnisation, mise en demeure).

    L’arrêt du 10 juillet 2025 marque une étape supplémentaire dans la protection des preneurs en matière de bail commercial. En affirmant que l’obligation de délivrance du bailleur perdure pendant toute la durée du contrat, la Cour de cassation confère une portée continue à un devoir que certains considéraient limité au moment de la remise des clés.

    Pour les bailleurs, c’est une invitation à la prudence et à la transparence. Pour les preneurs, c’est une garantie juridique forte qui peut être actionnée à tout moment en cas de manquement persistant. L’avocat bail commercial joue ici un rôle central : conseiller, sécuriser et, le cas échéant, défendre les intérêts de son client face à une atteinte durable à la jouissance des lieux.

    Dans un contexte où la stabilité contractuelle et la sécurité économique sont cruciales, cette décision apporte une clarification bienvenue. Elle souligne une fois encore que le bail commercial n’est pas un contrat ponctuel mais un engagement de long terme, exigeant une vigilance constante des deux parties.