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Clause bad leaver et faute grave : retour d’expérience Versailles 2024

Auteur : Noémie Le Bouard   Mise à jour :   Lecture : 3 minutes

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Arrêt Versailles 10-12-2024 : faute grave, bad leaver, actions à prix historique. Conseils pratiques pour dirigeants.

  SOMMAIRE :

    Les clauses dites « bad leaver » se banalisent dans les pactes d’associés. Leur efficacité réelle vient d’être confirmée par l’arrêt de la cour d’appel de Versailles du 10 décembre 2024 : un directeur général, ayant ignoré la procédure interne d’approbation de sa rémunération, a perdu son indemnité de mandat et cédé 5 % du capital à la valeur historique.

    Pour tout chef d’entreprise détenteur de titres, cette décision sonne comme un rappel : un simple manquement gouvernance peut anéantir une plus-value latente soigneusement bâtie.

    1 - Cadre juridique : quand le social irrigue le corporate

    Le cœur du litige tient à la combinaison de trois instruments :

    • la liberté statutaire offerte par l’article L. 227-5 du Code de commerce ;
    • la force obligatoire du pacte d’associés (art. 1103 C. civ.) ;
    • la définition sociale de la faute grave, importée par renvoi explicite dans le pacte.

    Le dirigeant avait perçu 10 400 € d’indemnité de congés non pris sans l’aval du comité stratégique exigé pour toute « modification significative » (> 60 k €) de rémunération. La cour assimile ce dépassement unilatéral à une inexécution contractuelle grave : la confiance des associés est rompue, rendant « impossible le maintien » au sens de la jurisprudence sociale. Conséquence :

    1. licenciement immédiat et révocation ad nutum sans indemnité ;
    2. déclenchement automatique de la clause bad leaver : cession forcée des titres au prix d’acquisition.

    L’argument du dirigeant — approbation ultérieure des comptes — échoue : le pacte impose un contrôle ex ante. L’arrêt confirme par ailleurs que l’article 1843-4 C. civ. n’intervient pas : le prix est déterminé de manière objective et le délai pour réclamer une expertise contradictoire (30 jours) n’a pas été utilisé.

    2 - Enjeu financier : la décote bad leaver, une épée de Damoclès

    Le dirigeant évaluait ses 13 759 actions à 50 € pièce (valorisation d’une levée de fonds récente) soit ~800 k €. Le prix contractuel arrêté à la moyenne des coûts d’acquisition les ramène à ~15 €, pour un produit final de 200 k €. Perte sèche : 600 k €.

    Trois enseignements financiers se dégagent :

    • Le prix d’acquisition est souvent dérisoire : plus la société a grandi, plus la décote est violente.
    • Le timing est critique : l’expertise contradictoire prévue dans le pacte est la seule soupape, mais elle doit être activée très vite.
    • La sanction est cumulative : elle s’ajoute à la perte de l’indemnité conventionnelle de mandat (100 k € en l’espèce) et à un licenciement sans indemnités légales.
    La cour n’accorde que 10 000 € pour révocation vexatoire — diffusion d’un courriel dépréciatif — somme marginale face à la décote. L’avantage économique de la clause pour l’investisseur reste donc intact.

    3 - Check-list contractuelle pour dirigeants et investisseurs

    Pour les chefs d’entreprise actionnaires

    • Relire la définition de « faute grave » : la clause doit lister les manquements déclencheurs ; sinon, tout écart procédural peut suffire.
    • Exiger un prix plancher indexé : multiple d’EBITDA, pourcentage de la dernière levée ou valorisation retenue dans la clause d’anti-dilution.
    • Sécuriser la fenêtre d’expertise : 60 jours minimum, désignation conjointe, partage égal des honoraires ; faute d’expertise, la décote est irrévocable.
    • Tracer toutes les approbations : procès-verbaux du comité, archives électroniques signées, répertoires partagés.

    Pour les investisseurs majoritaires

    • Rédiger une procédure claire : quorum, modalités de convocation, archivage numérique ; la moindre ambiguïté servira le dirigeant évincé.
    • Inclure un protocole de sortie : calendrier de restitution des effets, clause de non-dénigrement, communication coordonnée.
    • Anticiper le contradictoire : transmettre les griefs, laisser un délai de réponse ; cela limite le risque d’indemnité pour révocation vexatoire.

    L’arrêt Versailles 2024 illustre la redoutable efficacité d’une clause bad leaver orchestrée autour d’un comité stratégique et d’une définition contractuelle de la faute grave. Le dirigeant-actionnaire a payé le prix fort d’un simple bonus non validé : 70 % de sa plus-value envolée.

    Pour les patrons qui négocient leur pacte ou leur tour de table, la priorité n’est donc pas la ligne de financement suivante, mais la rigueur des clauses de sortie et la discipline documentaire quotidienne. Une faute de gouvernance coûte parfois plus cher qu’un recul de chiffre d’affaires.  

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