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Clause de compétence asymétrique : CJUE 2025 et encadrement strict

Auteur : Noémie Le Bouard   Mise à jour :   Lecture : 3 minutes

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La CJUE valide la clause de compétence asymétrique si elle respecte des critères précis de juridiction, de clarté et de conformité au droit UE.

  SOMMAIRE :

    Une pratique contractuelle à la frontière de l’équilibre : les relations commerciales internationales donnent souvent lieu à des stipulations contractuelles spécifiques en matière de compétence juridictionnelle.

    Parmi celles-ci figure la clause attributive de compétence asymétrique, qui offre à une partie une plus grande liberté dans le choix de la juridiction compétente, tout en imposant une juridiction unique à l’autre partie. Longtemps discutée, cette clause vient d’être clarifiée par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).

    Clause de compétence asymétrique

    1 - Le fondement textuel : article 25 du règlement Bruxelles I bis

    Le règlement (UE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012, dit "Bruxelles I bis", régit la compétence juridictionnelle en matière civile et commerciale. Son article 25, paragraphe 1, permet aux parties de désigner, par accord exprès, une ou plusieurs juridictions d’un ou plusieurs États membres pour connaître des litiges nés ou à naître dans le cadre d’un rapport juridique déterminé.

    Ce texte consacre la primauté de la volonté des parties, tout en soumettant la validité de la clause à certaines exigences de fond et de forme. Se pose alors la question de la compatibilité des clauses asymétriques avec ces principes.

    2 - L’arrêt du 27 février 2025 : une réponse attendue

    Dans l’affaire C-537/23, opposant la société italienne SIL à la société française Agora SARL, le contrat prévoyait que seul le tribunal de Brescia (Italie) était compétent, sauf pour le fournisseur, qui pouvait saisir toute autre juridiction compétente. Cette clause, clairement asymétrique, a été contestée devant les juridictions françaises. La Cour de cassation a alors saisi la CJUE à titre préjudiciel.

    Trois conditions cumulatives de validité

    Dans sa décision du 27 février 2025, la CJUE a confirmé que la clause asymétrique est valide, sous réserve du respect de trois conditions essentielles :

    1. La clause doit désigner des juridictions d’un ou de plusieurs États membres ou parties à la convention de Lugano : toute référence à des juridictions situées dans des États tiers serait contraire aux exigences du règlement.
    2. La désignation des juridictions doit reposer sur des éléments objectifs et prévisibles : la clause doit permettre au juge saisi de vérifier sa propre compétence avec clarté.
    3. La clause ne doit pas porter atteinte aux dispositions protectrices des articles 15, 19, 23 et aux compétences exclusives de l’article 24 : notamment en matière de consommation, de travail ou de droits réels immobiliers.

    3 - Une interprétation autonome du droit de l’Union

    L’un des apports majeurs de cette décision réside dans l’interprétation de la notion de "nullité quant au fond". Selon la CJUE, cette expression ne renvoie pas aux appréciations nationales sur l’équilibre contractuel, mais uniquement aux causes classiques de nullité prévues par le droit de l’État dont les juridictions sont désignées : vice du consentement, incapacité, etc.

    Le déséquilibre de la clause n’est donc pas, en soi, une cause d’invalidité, dès lors que la clause est prévisible, acceptée librement et conforme aux exigences du règlement Bruxelles I bis.

    4 - Les enjeux pratiques pour les rédacteurs de contrats internationaux

    Dans la pratique, la clause asymétrique est souvent utilisée dans les contrats entre entreprises aux rapports de force inégaux. Sa validité désormais reconnue n’exonère pas les parties d’une grande vigilance dans sa rédaction. Il est essentiel de :

    • Rédiger la clause en termes clairs et précis, sans ambiguïté sur le choix de juridiction ;
    • S’assurer que les juridictions désignées relèvent bien du champ d’application du règlement ;
    • Éviter toute clause de compétence dans les domaines protégés ;
    • Privilégier une justification commerciale ou technique à l’asymétrie, pour anticiper toute contestation.

    En validant sous conditions les clauses de compétence asymétrique, la CJUE a apporté une clarification bienvenue dans le paysage contractuel européen. Elle renforce la sécurité juridique des opérateurs économiques tout en rappelant que la liberté contractuelle ne dispense pas du respect des règles impératives du droit de l’Union.

    Pour les praticiens du droit et les entreprises, cette jurisprudence doit inciter à une analyse rigoureuse des clauses de compétence insérées dans les contrats internationaux. Une clause mal rédigée ou imprécise pourrait être source de contentieux et de perte de contrôle juridictionnel. L’enjeu est donc stratégique, tant sur le plan juridique que commercial.