Accueil     Droit des Contrats     Clause suspensive et garantie du sous-traitant : un nouveau jalon posé

Clause suspensive et garantie du sous-traitant : un nouveau jalon posé

Auteur : Gabriel Gratadour   Mise à jour :   Lecture : 4 minutes

Consulter cet expert du droit

La Cour de cassation admet qu’un sous-traité ne prenne effet qu’à l’agrément, à condition que la garantie de paiement soit fournie ce jour-là.

  SOMMAIRE :

    L’obligation, pour l’entrepreneur principal, de garantir le paiement des sous-traitants figure parmi les pivots de la loi du 31 décembre 1975. Pourtant, les praticiens se heurtent souvent à la même difficulté : la banque refuse de délivrer un cautionnement tant que le maître d’ouvrage n’a pas agréé le sous-traitant, tandis que le sous-traitant hésite à signer un contrat qui n’est, à ses yeux, couvert par aucune sûreté.

    C’est précisément dans ce no man’s land contractuel qu’intervient l’arrêt rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 30 avril 2025 (Cass. 3e civ., 30 avr. 2025, n° 23-19.086). La Haute juridiction confirme qu’un sous-traité peut rester en suspens jusqu’au jour de l’agrément, à charge pour l’entrepreneur principal de produire, le même jour, une garantie de paiement. Le marché ne naît donc qu’au moment où la protection financière existe—et non lors de la simple signature.

    Cette solution ménage à la fois la liberté contractuelle consacrée par l’article 1103 du Code civil et l’exigence de sécurité posée par l’article 14 de la loi de 1975. Pour les acteurs du BTP, elle impose toutefois une discipline rédactionnelle et logistique sans faille : les mots doivent être précis, les calendriers, maîtrisés, et la preuve de la garantie, facilement traçable.

    Clause suspensive Garantie Sous-traitant

    1 - Le nouvel équilibre juridique : formation différée du contrat et exigence de simultanéité

    L’affaire opposait un sous-traitant VRD à l’entreprise générale, la clause litigieuse indiquant que « le présent contrat ne sera valable qu’après agrément du sous-traitant et acceptation de ses conditions de paiement par le maître d’ouvrage ».

    Entre la signature (24 octobre 2017) et l’agrément/délégation de paiement (3 avril 2018) s’écoulent plus de cinq mois. Le sous-traitant invoque la nullité, faute de garantie à la signature. La Cour rejette son pourvoi :

    • Liberté contractuelle. Les parties peuvent décider qu’aucun lien obligatoire n’existera tant que l’agrément ne sera pas donné. Cette faculté s’inscrit dans le principe de l’autonomie de la volonté (C. civ., art. 1103).
    • Simultanéité garantie/agrément. Au jour où le maître d’ouvrage accepte le sous-traitant, la délégation de paiement est délivrée ; la condition suspensive étant levée, le contrat se forme sans encourir la nullité de l’article 14.
    • Commencement d’exécution. La sanction resterait entière si le sous-traitant avait démarré ses travaux avant la remise de la garantie, comme l’avaient déjà rappelé les décisions antérieures (Cass. 3e civ., 7 févr. 2001, n° 98-19.937).

    Ce raisonnement confère aux acteurs une marge de manœuvre utile : financer la caution ou négocier la délégation à un moment où le maître d’ouvrage a déjà validé le choix du sous-traitant, rassurant ainsi la banque ou l’organisme garant. Il ne s’agit pas, toutefois, d’un blanc-seing.

    Les garde-fous expressément rappelés

    • Caractère impératif de la garantie : la clause ne peut pas écarter l’obligation de couverture, sous peine d’être réputée non écrite [[L. 75-1334, art. 15]].
    • Interdiction de commencer sans sûreté : un ordre de service prématuré ferait renaître d’emblée la nullité.
    • Charge de la preuve : il appartient à l’entreprise principale de démontrer que la garantie existait bien le jour où le contrat a commencé à produire ses effets.

    2 - Incidences opérationnelles : rédiger, planifier et contrôler

    Le pouvoir d’aménager la date de naissance du contrat oblige désormais à une vigilance accrue. Trois axes méritent l’attention des juristes de chantier et des maîtres d’ouvrage.

    a - Rédaction de la clause suspensive

    • Employer une formule dénuée d’ambiguïté : « Le présent contrat ne sera formé qu’à la double condition de l’agrément du sous-traitant et de la délivrance concomitante d’une garantie de paiement. »
    • Insérer une date butoir d’agrément ; au-delà, le sous-traitant pourra se rétracter sans pénalité.

    b - Organisation du calendrier financier et technique

    • Anticiper le délai d’émission de la caution ou de signature de la délégation de paiement.
    • Prohiber contractuellement toute livraison de matériaux ou mise à disposition de main-d’œuvre avant la levée de la condition.

    C - Traçabilité et preuve documentaire

    • Archiver la lettre d’agrément et la garantie ; une copie certifiée est souvent suffisante, mais un original rassure en cas de litige.
    • Prévoir un circuit de validation interne pour éviter qu’un chef de projet pressé ne lance le sous-traitant trop tôt.

    Checklist à destination des principaux acteurs

    • Pour l’entrepreneur principal
      • Vérifier que la banque accepte de cautionner sur la base d’un agrément annoncé.
      • Communiquer le calendrier d’agrément à l’ensemble de l’équipe chantier.
    • Pour le sous-traitant
      • Exiger, avant toute intervention, la preuve écrite de la caution ou de la délégation.
      • Conserver un courriel daté confirmant la levée de la condition suspensive.
    • Pour le maître d’ouvrage
      • Organiser un processus d’agrément rapide afin de ne pas retarder le planning global.
      • S’assurer que la délégation de paiement couvre la totalité du marché, avenants inclus.

    En définitive, l’arrêt du 30 avril 2025 n’introduit pas une révolution, mais il consolide un mécanisme déjà esquissé : la protection du sous-traitant peut naître tardivement, pourvu qu’elle naisse avant le moindre coup de pelle.

    Les juristes du BTP disposent d’un espace de souplesse ; à eux de l’investir avec un souci constant de précision contractuelle et de rigueur procédurale.

    LE BOUARD AVOCATS
    4 place Hoche,
    78000, Versailles