La diversification des droits attachés aux actions constitue aujourd’hui une mécanique bien intégrée dans la gouvernance des sociétés par actions. L’action de préférence, prévue aux articles L. 228-11 et suivants du Code de commerce, permet d’accorder à certains investisseurs ou associés des droits spécifiques, adaptés à leurs intérêts économiques ou stratégiques.
Ces droits peuvent être financiers (dividende prioritaire, boni de liquidation), politiques (droits de vote renforcés ou supprimés), ou encore informationnels. Mais lorsque l’émission porte sur plusieurs catégories d’actions de préférence dotées de droits distincts, et attribuées à des personnes nommément désignées, les formalités juridiques se complexifient. La question se pose alors de savoir s’il convient de désigner plusieurs commissaires aux avantages particuliers, ou si un seul commissaire peut suffire.
Dans un avis récent, l’ANSA (Association nationale des sociétés par actions) est venue clarifier cette question, apportant aux praticiens une lecture sécurisante de l’article L. 228-15 du Code de commerce. Cette contribution propose une synthèse rigoureuse de cette position, de ses fondements juridiques et de ses implications opérationnelles.

1 - Le cadre légal applicable : unicité de mission et indépendance du commissaire
L’article L. 228-15 du Code de commerce prévoit que, lorsqu’une société par actions attribue des avantages particuliers à des personnes déterminées, un ou plusieurs commissaires aux avantages particuliers doivent être désignés pour les évaluer. Leur désignation peut intervenir :
- soit à l’unanimité des fondateurs ou des associés/actionnaires,
- soit, à défaut, par décision judiciaire.
Le texte ajoute que ces commissaires doivent être indépendants et ne pas avoir exercé d’autre mission dans la société au cours des trois derniers exercices. Ce principe d’unicité de la mission vise à garantir la neutralité et la fiabilité de l’analyse.
Dans les cas classiques, lorsqu’une seule catégorie d’actions de préférence est émise, la désignation d’un unique commissaire ne soulève aucune difficulté. En revanche, lorsque l’opération inclut plusieurs catégories, aux droits distincts, et au profit de bénéficiaires différents, certains praticiens ont pu estimer qu’autant de commissaires que de catégories étaient nécessaires.
Cette position aboutit à un formalisme excessif, peu adapté à la réalité opérationnelle des levées de fonds structurées.
2 - Une réponse pragmatique de l’ANSA : un seul commissaire pour une émission unifiée
Dans sa communication n° 25-004 du 5 février 2025, le comité juridique de l’ANSA a affirmé qu’un seul commissaire aux avantages particuliers peut être désigné, même en cas d’émission simultanée de plusieurs catégories d’actions de préférence, dès lors que l’opération est décidée lors d’une même assemblée générale.
L’unité de décision justifie alors l’unité de mission. Selon l’ANSA, la mission du commissaire est unique parce que l’opération juridique est unique, même si elle porte sur plusieurs séries de titres. Cette approche repose sur une lecture finaliste du texte, visant à éviter la fragmentation artificielle de la procédure. Le commissaire désigné devra néanmoins structurer son rapport en rubriques distinctes, chacune traitant des droits attachés à une catégorie d’actions et des bénéficiaires concernés.
Ce rapport détaillé permettra aux actionnaires d’évaluer l’opération dans toutes ses composantes, conformément à l’objectif de transparence poursuivi par l’article L. 228-15. Pour sécuriser l’émission d’actions de préférence et la désignation du commissaire aux avantages particuliers, il est recommandé de faire appel à un avocat en droit des sociétés à Versailles, maîtrisant les exigences du Code de commerce et les pratiques validées par l’ANSA.
3 - Limites à l’unicité de mission : cas dans lesquels plusieurs commissaires restent requis
La solution de l’ANSA ne saurait être généralisée à toutes les situations. Il existe plusieurs cas dans lesquels la désignation de plusieurs commissaires demeure obligatoire :
- Lorsque l’opération inclut une suppression du droit préférentiel de souscription, un commissaire distinct doit être désigné conformément à l’article L. 225-138-II du Code de commerce.
- En l’absence de commissaire aux comptes, si l’émission concerne des actions de préférence d’une catégorie déjà existante, deux commissaires ad hoc doivent être désignés (cf. ANSA, avis n° 24-005 du 7 février 2024) :
- l’un pour évaluer les avantages particuliers au sens de l’article L. 228-15,
- l’autre pour apprécier le prix d’émission des titres.
Cette dualité est imposée par le principe d’exclusivité de la mission, qui interdit de confier à un même professionnel plusieurs évaluations juridiques dans le cadre d’une seule opération.
L’émission simultanée de plusieurs catégories d’actions de préférence, comportant des droits distincts et réservées à des bénéficiaires nommément désignés, peut être encadrée par un seul commissaire aux avantages particuliers, dès lors que l’opération est décidée dans le cadre d’une assemblée générale unique. Cette lecture, validée par l’ANSA, permet aux praticiens de concilier sécurité juridique et rationalisation des procédures.
Toutefois, il convient de rester attentif aux exceptions structurelles du régime, notamment en cas de suppression du droit préférentiel ou d’absence de commissaire aux comptes.