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Entente anticoncurrentielle ne constitue pas un acte de concurrence

Auteur : Noémie Le Bouard   Mise à jour :   Lecture : 4 minutes

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Une entente anticoncurrentielle ne peut être requalifiée en concurrence déloyale : la Cour impose la preuve du préjudice en droit commun.

  SOMMAIRE :

    La Cour de cassation a, dans son arrêt du 26 février 2025 (n° 23-18.599), clairement réaffirmé que les pratiques anticoncurrentielles, même lorsqu’elles sont établies et sanctionnées, ne peuvent être assimilées à des actes de concurrence déloyale.

    Cette décision s’inscrit dans un contexte où certaines entreprises tentent de contourner les exigences probatoires du droit de la concurrence, notamment pour les pratiques antérieures à 2017, en mobilisant les principes de responsabilité civile issus du droit de la concurrence déloyale.

    Le présent article propose une analyse structurée en trois axes : les fondements juridiques distincts, les exigences probatoires propres à chaque régime, et les conséquences pratiques pour les opérateurs économiques.

    pratique anticoncurrentielle

    1 - Deux logiques juridiques autonomes : concurrence libre vs loyauté commerciale

    Les fondements du droit de la concurrence et ceux de la concurrence déloyale poursuivent des objectifs différents. Le premier relève d’une logique de marché : l’objectif est d’assurer le bon fonctionnement du jeu concurrentiel au bénéfice de l’économie dans son ensemble. Les pratiques visées, notamment les ententes prohibées par l’article L. 420-1 du Code de commerce ou l’article 101 du TFUE, sont sanctionnées en tant qu’atteintes à la structure du marché. En revanche, le second vise à protéger les relations commerciales inter-entreprises, en s’appuyant sur l’article 1240 du Code civil (ancien article 1382).

    La concurrence déloyale suppose un comportement fautif portant atteinte à un concurrent déterminé, comme la désorganisation, le dénigrement, le parasitisme ou encore le non-respect d’une réglementation applicable à une activité donnée. Il est tentant, dans certains contentieux, de vouloir faire glisser une pratique anticoncurrentielle sur le terrain de la concurrence déloyale, en invoquant la jurisprudence qui reconnaît qu’un manquement réglementaire, s’il crée un avantage indu, peut fonder une action en responsabilité délictuelle.

    Toutefois, cette tentative d’assimilation est erronée : l’existence d’une entente ne caractérise pas, en soi, un comportement fautif au sens du droit commun, dès lors qu’elle n’est pas dirigée directement contre un opérateur identifié.

    2 - Preuve du préjudice : une exigence incontournable pour les ententes antérieures à 2017

    La difficulté principale à laquelle sont confrontées les entreprises victimes d’une entente antérieure à l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2017-303 du 9 mars 2017 réside dans la charge de la preuve. Contrairement aux faits postérieurs au 11 mars 2017, pour lesquels l’article L. 481-7 du Code de commerce instaure une présomption réfragable de préjudice, les pratiques plus anciennes restent soumises au droit commun.

    Ainsi, en l’absence de ce régime spécial, la victime doit établir de manière rigoureuse :

    • La réalité d’un préjudice économique direct ou indirect ;
    • Le lien de causalité entre la pratique sanctionnée et le dommage invoqué ;
    • Et le fait que l’activité de l’auteur de l’entente a effectivement affecté celle de la victime sur le même marché ou une zone voisine.

    Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 26 février 2025, la société Gaches Chimie était active dans le sud-ouest de la France, une zone exclue de l’entente sanctionnée par l’Autorité de la concurrence en 2013. Elle soutenait néanmoins que ses concurrents, en bénéficiant des fruits de l’entente dans d’autres régions, avaient pu se développer à son détriment grâce aux gains illicites réalisés.

    Cette argumentation, fondée sur une forme d’effet de halo, n’a pas convaincu la Cour. La preuve du préjudice économique, en l’espèce, faisait défaut. La méthode comptable de comparaison des résultats entre entreprises, sans démonstration concrète du lien avec l’entente, a été jugée insuffisante.

    De même, l'argument tiré de la perte de fournisseurs ou de clients en raison de la position acquise par Univar Solutions n’était pas étayé de manière probante.

    3 - Enjeux stratégiques et implications pour les acteurs du marché

    L’enseignement de cette décision est clair : les deux régimes doivent être cloisonnés, et l’opportunisme juridique ne saurait être récompensé. Un opérateur ne peut pas contourner l’exigence de démonstration du préjudice en tentant une requalification de la pratique en faute civile autonome.

    L’absence d’un régime favorable ne justifie pas de forcer l’application d’un autre. Pour les praticiens, cette jurisprudence appelle à la prudence dans le choix du fondement juridique de l’action.

    Lorsque les faits sont anciens, l’action doit être accompagnée d’un dossier technique solide, incluant des éléments économiques et financiers précis, démontrant l’impact réel de la pratique sur l’activité du demandeur. Le recours à des économistes de la concurrence peut s’avérer nécessaire.

    De plus, l’arrêt du 26 février 2025 s’inscrit dans une logique de sécurité juridique. Il confirme que l’on ne peut créer artificiellement une présomption de préjudice là où le législateur ne l’a pas prévue. En cela, la Cour protège la cohérence des normes et renforce l’équilibre entre droit de la concurrence et droit civil.

    Par cette décision, la Cour de cassation rappelle que la protection du marché et celle des opérateurs économiques ne relèvent pas des mêmes mécanismes juridiques. L’entente, même avérée, ne peut être automatiquement source de responsabilité civile si aucun dommage réel n’est démontré.

    En matière de contentieux économiques, le choix du fondement, la maîtrise des éléments probatoires et la cohérence de l’argumentation sont décisifs.

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