Le 9 avril 2025, la chambre sociale de la Cour de cassation (n° 23-14.016) a posé une pierre angulaire nouvelle dans le contentieux de l’égalité de traitement. Pour la première fois, la Haute juridiction considère qu’une différence de rémunération peut être entachée de discrimination lorsqu’elle repose non pas sur la famille du salarié, mais sur celle de l’employeur. Concrètement, privilégier un proche parent – conjoint, enfant ou ascendant – constitue une violation de l’article L 1132-1 du Code du travail.
Cette décision bouleverse les pratiques des entreprises familiales et exige une refonte méthodique des politiques de rémunération. L’analyse se structurera autour de deux axes : la portée juridique de l’arrêt et les obligations pratiques qui en découlent pour les employeurs.

1 - Portée juridique : un élargissement majeur du critère « situation de famille »
1.1. Un fondement textuel désormais interprété à double sens
Jusqu’alors, la discrimination liée à la « situation de famille » se cantonnait à la sphère privée du salarié : mariage, parenté, charges de famille. L’arrêt du 9 avril 2025 inverse en partie la focale : la Cour adopte une approche « par association » inspirée de la CJUE (Coleman, C-303/06).
Le salarié peut être désavantagé, non parce qu’il appartient à une catégorie protégée, mais parce qu’il n’appartient pas au cercle familial du décideur.
Cette lecture s’appuie sur :
- l’article L 1132-1 C. trav., qui prohibe toute mesure discriminatoire « en raison de la situation de famille » ;
- l’article 1ᵉʳ de la loi 2008-496, qui interdit toute distinction fondée sur un motif prohibé, même indirectement.
1.2. Qualification des faits : l’importance de la preuve indiciaire
Dans l’affaire jugée, l’épouse du député-employeur bénéficiait d’un salaire supérieur de 62 % et de primes exclusives, alors même que ses tâches étaient essentiellement logistiques. La Cour y voit un traitement moins favorable fondé sur un critère familial. Le raisonnement suit la méthode probatoire de l’article L 1134-1 :
- indice : écart inexpliqué de rémunération entre deux postes identiques ;
- renversement de preuve : à l’employeur de démontrer un motif objectif étranger à la parenté.
En l’espèce, l’argument de la « confidentialité accrue » n’était ni documenté ni proportionné ; la discrimination a donc été retenue.
1.3. Champ d’application : au-delà des mandats politiques
Bien que la décision concerne une collaboration parlementaire, sa portée est horizontale : toute société commerciale, association ou étude notariale est susceptible d’être confrontée à un contrôle de l’Inspection du travail, d’un syndicat ou d’un salarié invoquant cette jurisprudence.
2 - Conséquences pratiques : sécuriser la politique salariale dans les structures familiales
2.1. Cartographier les écarts de rémunération
- Audit initial : comparer salaires, primes, avantages en nature entre apparentés et non-apparentés occupant des fonctions comparables.
- Documentation : conserver fiches de poste, diplômes, lettres de mission et évaluations individuelles.
2.2. Établir des critères objectifs et traçables
Pour qu’une différence soit licite, elle doit reposer sur un triple test :
- Objectif légitime (ex. expertise rare, responsabilité budgétaire).
- Pertinence : le critère doit être directement lié aux tâches confiées.
- Proportionnalité : l’avantage financier ne peut excéder ce qui est nécessaire à l’objectif.
2.3. Encadrer la gouvernance des rémunérations
- Comité ad hoc : intégrer un membre indépendant lors de la fixation des salaires des proches.
- Procès-verbaux motivés : consigner les décisions et les justifications chiffrées.
- Formation : sensibiliser managers et associés au risque de discrimination indirecte.
2.4. Anticiper le contentieux et les risques financiers
En consacrant la parenté de l’employeur comme facteur discriminatoire, la Cour de cassation redéfinit l’équilibre entre confiance familiale et égalité salariale. Les entreprises à structure familiale doivent désormais prouver que toute rémunération préférentielle repose sur des considérations purement professionnelles.
Sinon, elles s’exposent à des sanctions civiles et pénales lourdes, ainsi qu’à un risque réputationnel majeur. Pour les avocats en droit social, cet arrêt devient un outil incontournable d’audit et de conformité : il impose de revoir contrats, grilles et procédures d’évaluation pour garantir une gouvernance salariale irréprochable.
LE BOUARD AVOCATS
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