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Fonds de commerce : respecter le délai d’opposition

Auteur : Noémie Le Bouard   Mise à jour :   Lecture : 7 minutes

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Ne payez pas trop tôt un fonds de commerce : vous risquez de devoir payer une seconde fois. Découvrez comment éviter ce piège !

  SOMMAIRE :

    L’acquisition d’un fonds de commerce se présente souvent comme une opportunité fort intéressante, tant pour l’acheteur désireux de profiter d’une clientèle déjà établie que pour le vendeur souhaitant céder son activité dans les meilleures conditions. Derrière cette apparente simplicité, le Code de commerce impose pourtant une procédure stricte, destinée à protéger les créanciers du cédant.

    En particulier, l’acheteur doit impérativement patienter durant un délai de dix jours après la publicité de la cession, faute de quoi il s’expose à devoir payer deux fois. Dans ce nouvel article, nous proposons une vision détaillée des enjeux et des bonnes pratiques permettant de sécuriser la transaction.

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    1. Une étape incontournable : la publicité de la vente

    1.1 Les raisons de la publicité

    La publicité obligatoire (articles L. 141-12 et suivants du Code de commerce) consacre l’idée qu’aucun créancier du vendeur ne doit être pris au dépourvu. Cette publicité, généralement effectuée via un avis dans un journal d’annonces légales, dans un support habilité ou au BODACC, informe toute personne potentiellement concernée par la vente. Ainsi, si le vendeur a des dettes envers un fournisseur, une banque ou l’administration fiscale, ces créanciers peuvent découvrir la cession en temps utile.

    En pratique :

    • L’acte de cession précise le prix, la description du fonds, l’identité du vendeur et de l’acheteur.
    • La publicité apparaît parfois sous forme d’extraits de l’acte, diffusés dans des journaux compétents.
    • Un huissier ou un avocat se charge généralement d’accomplir ces formalités, afin de respecter le formalisme imposé par la loi.

    1.2 Le point de départ du délai d’opposition

    Ce devoir de publicité enclenche un délai de dix jours, durant lequel les créanciers du cédant ont la faculté de former opposition (C. com. art. L. 141-14). Il n’est pas rare que les créanciers saisissent aussitôt cette opportunité pour se manifester, imposant à l’acheteur de retenir le paiement jusqu’à la fin de la procédure d’opposition, ou d’envisager une répartition surveillée du prix, via un séquestre.

    2. La finalité du délai d’opposition : protéger les créanciers

    2.1 Le droit de chaque créancier

    Le mécanisme de l’opposition garantit que les créanciers du vendeur puissent récupérer leur dû avant que le cédant n’encaisse la totalité du prix et ne disparaisse dans la nature, ou n’en fasse un usage contestable. En constituant un gage sur le prix de vente, l’opposition permet au créancier de prélever, s’il y a lieu, la somme nécessaire pour combler sa créance.

    Quels types de créanciers sont concernés ?

    • L’administration fiscale (TVA, impôts sur les bénéfices),
    • Les organismes sociaux (URSSAF, caisses de retraite),
    • Les établissements bancaires ayant financé l’activité,
    • Les fournisseurs ou prestataires disposant de factures impayées.

    2.2 L’inopposabilité du paiement anticipé

    L’article L. 141-17 du Code de commerce précise que tout règlement remis au vendeur avant la fin du délai de dix jours est « inopposable » aux créanciers. En d’autres termes, l’acheteur qui s’est empressé de verser le prix doit assumer le risque de payer une seconde fois, si un créancier se présente ultérieurement. L’exécution anticipée est donc réputée nulle pour les tiers, sans égard pour la bonne ou la mauvaise foi de l’acquéreur.

    3. Les conséquences concrètes pour l’acheteur

    3.1 Le double paiement

    Le danger majeur réside dans la possibilité d’un double paiement : l’acheteur croyait en avoir terminé avec le vendeur, mais un créancier insatisfait (qui n’a pas obtenu son règlement lors de l’exploitation du fonds) peut le poursuivre en justice, lui réclamant la fraction de la dette relevant du prix cédé prématurément.

    L’autorité judiciaire confirme régulièrement ce principe, rappelant que l’absence de prudence chez l’acquéreur ne saurait léser les droits légitimes des tiers.

    Cas typique :

    • Le vendeur doit 50 000 euros de taxes impayées.
    • L’acheteur, en réglant trop tôt la totalité du prix, ouvre la voie à un recours de l’administration fiscale, laquelle lui réclamera 50 000 euros.
    • L’acheteur, dépourvu de recours envers le fisc, se retourne éventuellement contre le vendeur, souvent sans assurance d’obtenir gain de cause, surtout si le cédant a disparu ou n’est plus solvable.

    3.2 Les litiges avec le vendeur ou le séquestre

    Il n’est pas rare que l’acheteur, confronté à cette épreuve, tente de se décharger de sa responsabilité :

    • Vis-à-vis du vendeur : en arguant que celui-ci l’a incité à remettre le prix trop tôt.
    • Vis-à-vis du séquestre : si un séquestre était désigné, mais a manqué à sa mission en libérant une partie des fonds au profit du cédant, sans vérifier la levée d’éventuelles inscriptions ou sans attendre la fin du délai.

    Or, la jurisprudence se montre sévère à l’égard de l’acquéreur lorsqu’il s’écarte de ses obligations légales, considérant que la loi lui impose une vigilance élémentaire : patienter jusqu’à l’issue de la période d’opposition.

    4. Les formalités d’opposition : une rigueur parfois relative

    4.1 Opposition irrégulière ne décharge pas l’acheteur

    Certaines décisions judiciaires indiquent clairement que même une opposition viciée, voire tardive, ne permet pas à l’acquéreur de s’exonérer du double paiement. Le Code de commerce privilégie en effet le droit au paiement des créanciers, ce qui signifie que l’acheteur ayant outrepassé le formalisme doit malgré tout régler la créance réclamée, dans la limite des sommes avancées avant l’échéance.

    4.2 Limitation au montant réellement versé trop tôt

    Heureusement, le législateur borne la responsabilité de l’acquéreur à la fraction du prix versée prématurément. Si, par exemple, seuls 30 % du prix ont été octroyés au vendeur avant la fin du délai, le créancier ne pourra revendiquer plus que cette portion.

    5. Les moyens pour éviter tout contentieux

    5.1 Patienter scrupuleusement

    La règle d’or consiste à ne pas verser le prix, ou plus de 10 % d’avance symbolique, avant la fin du délai de dix jours suivant la publication. Même si le vendeur insiste pour encaisser rapidement, la loi ne prévoit aucune dérogation.

    L’acheteur doit donc justifier ce refus en invoquant la sécurité juridique impérative. Au demeurant, le vendeur n’a rien à gagner à négliger la légalité, puisqu’un contentieux ultérieur pourrait bloquer la finalisation de la cession ou perturber la reprise du fonds.

    5.2 Confier le prix à un séquestre

    Le recours à un séquestre est courant. Avocat pour bail commercial sur Versailles, notaire ou huissier, il encaisse le prix et le conserve jusqu’à la fin du délai. Cette personne vérifie :

    • Les éventuelles oppositions,
    • Les sommes à allouer aux créanciers,
    • L’ordre des privilèges, le cas échéant.

    Après distribution de tout ou partie du prix aux créanciers ayant valablement agi, le solde est versé au vendeur. Ce dispositif libère l’acheteur de tout risque de poursuite pour un double paiement, puisqu’il ne procède pas lui-même aux règlements hâtifs.

    5.3 Vérifier l’état du passif du vendeur

    Même si cette démarche ne remplace pas le respect du délai, il est utile d’obtenir du cédant un état récapitulatif de ses dettes ou inscriptions au regard des impôts, charges sociales ou crédits bancaires. Cela permet de mesurer l’étendue des créances pouvant potentiellement s’opposer à la distribution du prix. Un accompagnement par un avocat s’avère souvent précieux pour analyser les déclarations du vendeur et prévenir les litiges.

    6. Exemple d’un différend récurrent : l’administration fiscale

    6.1 Des sommes importantes en jeu

    La direction générale des finances publiques constitue, en pratique, l’un des créanciers les plus incisifs lors des cessions de fonds de commerce. S’il subsiste des arriérés d’impôt sur le revenu, de TVA, de contribution économique territoriale ou de tout autre impôt, le fisc peut réclamer à l’acheteur, souvent pour des montants élevés, le règlement de ces créances.

    Peu importe que l’administration ait commis un vice de forme dans son acte d’opposition : du fait de l’article L. 141-17, l’acheteur ne peut s’en libérer en évoquant l’imperfection de l’opposition.

    6.2 Une responsabilité pas liée à la faute

    Dans ce genre de dossiers, la Cour de cassation rappelle régulièrement que l’article L. 141-17 n’exige pas la preuve d’une faute de la part de l’acheteur. La seule circonstance qu’il n’ait pas attendu la fin du délai ouvre la voie à l’action du créancier, au nom de la protection de son gage.

    L’acheteur n’a plus qu’à se tourner vers le vendeur, s’il le souhaite, pour tenter de se faire rembourser, ce qui, en pratique, s’avère hasardeux.

    7. Les erreurs à ne pas commettre

    Oublier la formalité de publicité : il arrive que certains actes ne soient pas publiés correctement ou dans les temps. L’acheteur doit s’assurer de l’effectivité de cette publicité, car sans elle, le délai ne court même pas.

    Croire qu’une clause contractuelle annule la règle : ni le cédant ni l’acquéreur ne peuvent déroger par contrat à l’obligation de respecter le délai de 10 jours.

    Minimiser l’impact d’une opposition tardive : le juge estime que c’est le versement anticipé qui crée le litige, non l’opposition mal formulée.

    Ne pas s’entourer de conseils : un avocat ou un notaire sécurise la transaction et prévient toute anomalie susceptible de coûter cher à l’acheteur.

    8. Conclusion : un formalisme rigoureux pour une transaction sereine

    Le paiement prématuré du prix lors d’une vente de fonds de commerce illustre le risque majeur de devoir assumer un double règlement, en cas de créance impayée du vendeur. La publicité de la cession, suivie d’un délai de dix jours, sert de rempart protecteur pour les tiers, afin qu’ils puissent réclamer leur dû.

    La solution la plus efficace pour l’acquéreur consiste à confier le montant de la cession à un séquestre, qui le conservera jusqu’au terme du délai d’opposition. Cette méthode, certes un peu plus longue, évite toute contestation ultérieure et garantit le déroulement harmonieux de la passation.

    En fin de compte, acquérir un fonds de commerce exige une connaissance précise des obligations légales. L’acheteur doit être conscient qu’en s’affranchissant de la procédure de publicité et du temps d’opposition, il demeure vulnérable.

    Le droit français, dans un souci de protection des créanciers, sanctionne strictement le règlement anticipé. Mieux vaut donc respecter ce cadre rigoureux, afin de finaliser une cession équilibrée et de poser les bases d’une exploitation sereine du fonds acquis.