L'obligation de sécurité incombant à l'employeur est un pilier essentiel du droit du travail. Elle impose à ce dernier de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Cependant, lorsque cette obligation n'est pas respectée, le salarié dispose d'un délai pour agir en justice. La question cruciale est alors de déterminer le point de départ de la prescription.

1 - Le cadre légal de la prescription en droit du travail
Toute action portant sur l'exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit. Article L. 1471-1 du Code du travail
Cette disposition instaure une prescription biennale pour les litiges relatifs à l'exécution du contrat de travail. La détermination du point de départ de ce délai est essentielle pour le salarié souhaitant agir en réparation d'un préjudice subi. En effet, une action intentée après l'expiration de ce délai sera déclarée irrecevable, privant ainsi le salarié de la possibilité d'obtenir réparation.
2 - La connaissance des faits par le salarié : une notion subjective
La jurisprudence a eu l'occasion de préciser la notion de "connaissance des faits". Il ne s'agit pas uniquement de la connaissance de l'existence du manquement, mais aussi de la réalisation du préjudice et de son imputabilité à l'employeur. Ainsi, le délai de prescription ne court qu'à partir du moment où le salarié a conscience du dommage et de son lien avec le manquement de l'employeur.
Par exemple, dans un arrêt de principe, la Cour de cassation a jugé que le point de départ du délai de prescription est la date à laquelle le salarié a eu connaissance du lien entre la dégradation de sa santé et les conditions de travail imposées par l'employeur (Cass. soc., 8 juillet 2015, n°13-28.422).
L'importance de l'avis du médecin du travail
L'avis du médecin du travail joue un rôle déterminant dans la prise de conscience par le salarié de son état de santé et de son aptitude à occuper son poste. Lorsque le médecin du travail déclare le salarié inapte, ce dernier est informé de l'impossibilité de reprendre son poste en raison de son état de santé. Cependant, la question se pose de savoir si cet avis constitue le point de départ du délai de prescription. La jurisprudence a pu estimer que le salarié avait connaissance des faits lui permettant d'agir dès la survenance de l'accident ou de la maladie professionnelle, et non à la date de l'avis d'inaptitude.
3 - La manifestation aggravée du dommage : un point de départ contesté
Il arrive que le dommage subi par le salarié se manifeste de manière progressive ou s'aggrave avec le temps. Dans ce contexte, le point de départ du délai de prescription peut être discuté. Certains juges du fond ont considéré que le délai ne commençait à courir qu'à partir de la dernière manifestation aggravée du dommage.
Cependant, la Cour de cassation a pu censurer cette approche en rappelant que le délai court à compter du jour où le salarié a eu connaissance du dommage initial et non de ses aggravations ultérieures (Cass. soc., 7 novembre 2018, n°17-14.392).
4 - L'obligation pour le salarié d'agir avec diligence
Le salarié ne peut différer indéfiniment le point de départ du délai de prescription en invoquant une ignorance prolongée des faits. Les tribunaux évaluent si le salarié, en faisant preuve de diligence, aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit. Ainsi, une attitude passive peut lui être reprochée. Dans une affaire, la Cour de cassation a estimé que le salarié qui n'avait pas contesté les agissements de l'employeur pendant plusieurs années ne pouvait prétendre ignorer les faits constitutifs du manquement (Cass. soc., 13 avril 2016, n°14-28.114).
5 - Les implications pratiques pour les salariés et les employeurs
Pour les salariés, il est essentiel d'être vigilant quant à la date à laquelle ils ont connaissance des faits susceptibles de fonder une action en justice. Ils doivent agir dans le délai de deux ans pour éviter la forclusion de leur action. En cas de doute, il est recommandé de consulter un avocat spécialisé en droit du travail pour évaluer la situation. Du côté des employeurs, cette problématique souligne l'importance de respecter scrupuleusement leur obligation de sécurité. Une vigilance accrue permet de prévenir les litiges et de garantir un environnement de travail sain. De plus, conserver des documents et preuves des mesures prises peut être crucial en cas de contentieux.
6 - Conclusion
La détermination du point de départ du délai de prescription en matière d'obligation de sécurité est un enjeu majeur en droit du travail. La jurisprudence tend à privilégier une approche stricte, en considérant que le délai court dès que le salarié a eu connaissance du dommage et de son lien avec l'employeur. Il est donc primordial pour les salariés d'agir rapidement et pour les employeurs de prévenir les risques en assurant la sécurité au travail.
Références légales et jurisprudentielles :
- Article (L. 1471-1 du Code du travail) : prescription des actions portant sur l'exécution du contrat de travail.
- Arrêt (Cass. soc., 8 juillet 2015, n°13-28.422) : point de départ de la prescription et connaissance du lien entre le dommage et le manquement.
- Arrêt (Cass. soc., 7 novembre 2018, n°17-14.392) : rejet de la prise en compte de l'aggravation du dommage comme point de départ du délai.
- Arrêt (Cass. soc., 13 avril 2016, n°14-28.114) : obligation pour le salarié d'agir avec diligence.
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