Le contentieux fiscal relatif aux procédures d’imposition d’office reste un terrain fertile pour des interrogations juridiques complexes, notamment lorsqu’il s’agit d’articuler les droits procéduraux du contribuable avec les pouvoirs d’appréciation de l’administration. La décision rendue par la cour administrative d’appel de Marseille le 5 octobre 2023 (n° 21MA04415), confirmée par le Conseil d’État par une décision de non-admission du 10 mars 2025 (n° 489946), illustre parfaitement cette tension.
En l’espèce, un contribuable revendiquant l’application du régime micro-BIC faisait l’objet d’une vérification de comptabilité, à l’issue de laquelle l’administration, considérant que les seuils du régime avaient été dépassés, a déclenché la procédure d’évaluation d’office en application de l’article L. 73, 1° du livre des procédures fiscales (LPF), sans démonstration préalable du dépassement de ces seuils.
Cette affaire soulève une question fondamentale : l’administration peut-elle engager une procédure d’évaluation d’office de droit commun contre un contribuable se prétendant au régime micro-BIC, sans avoir établi au préalable qu’il n’y a plus droit ? L’analyse de la jurisprudence permet d’apporter une réponse claire à travers trois axes :
- Le cadre légal applicable et sa portée ;
- Les pouvoirs d’appréciation de l’administration fiscale ;
- Les conséquences pratiques pour les contribuables et leurs conseils.

1 - Le cadre juridique de l’évaluation d’office et sa compatibilité avec le régime micro-BIC
1. Une procédure encadrée par les articles L. 66, L. 68 et L. 73 du LPF
L’article L. 73, 1° du LPF autorise l’administration à évaluer d’office le bénéfice imposable des contribuables relevant d’un régime réel d’imposition lorsqu’ils n’ont pas déposé de déclaration dans les délais. Cette procédure suppose l’envoi préalable d’une mise en demeure, conformément à l’article L. 68 du même code. Pour les contribuables placés sous le régime micro-BIC, l’article L. 73, 1° bis prévoit une modalité spécifique d’évaluation d’office en cas d’irrégularités, sans nécessité de mise en demeure préalable.
La question centrale réside donc dans le choix du fondement juridique : dès lors qu’un contribuable déclare être au régime micro, peut-on lui appliquer le régime d’évaluation d’office réservé aux contribuables réels ? La jurisprudence répond par l’affirmative.
2. L’arrêt de la CAA de Marseille : une extension du champ d’application du 1° de l’article L. 73
Dans l’affaire commentée, le contribuable n’avait pas produit ses déclarations de résultats ni ses déclarations de TVA malgré plusieurs mises en demeure. L’administration a choisi d’appliquer l’article L. 73, 1°, estimant que le régime micro ne pouvait plus s’appliquer.
La cour a jugé que l’administration n’est pas tenue de démontrer formellement le dépassement des seuils du micro-BIC avant d’adresser une mise en demeure. Il suffit qu’elle estime, au vu des données dont elle dispose (en particulier les chiffres d’affaires présumés), que le régime réel s’applique. Il ne s’agit donc pas d’une violation de la procédure, mais d’un usage conforme des prérogatives d’évaluation.
2 - Une appréciation unilatérale de l’administration légitimée par la jurisprudence
1. Le pouvoir discrétionnaire d’engager la procédure selon l’estimation du régime applicable
L’analyse jurisprudentielle montre que le choix du régime procédural relève de l’estimation unilatérale de l’administration, sous réserve du respect des formes légales (notamment envoi de la mise en demeure et respect du délai de 30 jours prévu par l’article L. 68 du LPF).
En effet, l’administration n’a pas à démontrer, à l’étape de la mise en demeure, que le contribuable ne peut plus bénéficier du régime micro-BIC. Elle n’a qu’à se placer dans l’hypothèse où ce régime est inapplicable — par exemple, en raison d’un chiffre d’affaires estimé supérieur au seuil — pour faire application de l’article L. 73, 1°.
Ce raisonnement a déjà été validé par d’autres juridictions, notamment la CAA de Lyon dans un arrêt du 13 juillet 2012 (n° 11LY01628), qui avait jugé que l’administration pouvait appliquer le régime d’évaluation d’office de droit commun sans démontrer immédiatement le dépassement des seuils du micro.
2. L’inutilité de la motivation de la mise en demeure
Un autre point de contentieux portait sur l’absence de motivation des mises en demeure. Or, conformément à une jurisprudence constante du Conseil d’État (CE 7 sept. 2009, CE 13 juill. 2006), les mises en demeure de produire des déclarations fiscales n’ont pas à être motivées. Il suffit qu’elles précisent l’année, la nature de l’obligation déclarative non remplie, et le délai de régularisation. L’administration n’a donc pas à justifier ni à démontrer les raisons pour lesquelles elle estime que le contribuable ne relève plus du micro-BIC.
3 - Les implications pratiques : vigilance accrue pour les contribuables et recentrage de la preuve
1. La procédure de taxation d’office à la TVA sans mise en demeure préalable
La jurisprudence rappelle que la procédure de taxation d’office à la TVA, fondée sur l’article L. 66, 3°, ne nécessite aucune mise en demeure préalable. Cette règle, consolidée par la décision de l’assemblée du Conseil d’État du 21 juin 1985, rend la procédure particulièrement rigoureuse en cas de défaut de dépôt de déclaration. Dans l’affaire jugée, l’administration avait néanmoins adressé une mise en demeure de régulariser la TVA, renforçant encore la solidité de sa position contentieuse.
2. Le renversement de la charge de la preuve : l’obligation de justification repose sur le contribuable
L’article L. 193 du LPF prévoit que, lorsqu’une imposition a été établie d’office, le contribuable supporte la charge de la preuve pour démontrer le caractère exagéré des bases retenues.
Dans le cas de Mme B., les tentatives de démonstration de la surestimation des recettes sont restées insuffisamment étayées. Ni les méthodes de reconstitution alternatives, ni les justifications apportées sur les charges n’ont été jugées probantes. Cela souligne l’extrême difficulté pour un contribuable de renverser la présomption de validité des bases d’imposition, une fois la procédure d’office engagée.
3. Une alerte pour les contribuables sous régime micro
Ce contentieux invite les professionnels à recommander à leurs clients relevant du régime micro-BIC :
- De documenter rigoureusement leur chiffre d’affaires, même si le régime ne prévoit pas d’obligations comptables formelles ;
- De réagir immédiatement à toute mise en demeure de l’administration, sous peine de perdre la main sur le calcul de leurs bases imposables ;
- D’anticiper tout dépassement potentiel des seuils, et de ne pas s’en remettre passivement à l’administration fiscale.
L’arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille du 5 octobre 2023, confirmé par le Conseil d’État, consacre une lecture pragmatique du droit fiscal procédural : l’administration peut recourir à l’évaluation d’office contre un contribuable qui revendique le régime micro-BIC sans avoir à établir préalablement le dépassement des seuils.
Cette solution, cohérente avec les textes et la jurisprudence antérieure, impose une vigilance accrue aux contribuables et à leurs conseils. La souplesse laissée à l’administration dans la qualification du régime applicable renforce la nécessité, pour tout professionnel, d’anticiper les conséquences d’un défaut déclaratif, y compris en présence d’un régime supposé simplifié.
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