Plus-values professionnelles : faut-il intégrer les recettes exceptionnelles dans les seuils d’exonération ? Une question d’apparence technique aux implications lourdes.
La fiscalité des plus-values de cession d’actifs professionnels obéit à un régime spécifique d’exonération prévu par l’article 151 septies du Code général des impôts (CGI). Ce dispositif, essentiel pour les entreprises de taille modeste, repose notamment sur un critère de recettes annuelles.
Mais une ambiguïté subsiste : doit-on y inclure les recettes dites « exceptionnelles » ? La réponse n’est pas uniquement comptable. Elle résulte aujourd’hui d’un arbitrage subtil entre droit fiscal, doctrine administrative et jurisprudence.

1 - Ce que prévoit le texte : une exonération sous condition de seuil
L’article 151 septies du CGI exonère de manière totale ou partielle les plus-values professionnelles à condition que :
- L’activité soit exercée depuis au moins cinq années ;
- Les recettes n’excèdent pas un plafond annuel fixé à 250 000 € pour les activités agricoles ou commerciales (exonération totale) ou 350 000 € (exonération partielle).
Or, la notion de recettes fait l’objet d’interprétations divergentes, notamment lorsqu’elles résultent de la vente d’éléments de l’actif immobilisé.
Doctrine administrative : une ligne favorable mais fragile
Selon la doctrine administrative encore en vigueur (BOI-BIC-PVMV-40-10-10-20, §390), les produits exceptionnels — en particulier ceux tirés de la cession d’immobilisations — peuvent être écartés du calcul des seuils. Cette approche repose sur une logique de neutralisation des éléments non récurrents.
Cette doctrine offre une protection au contribuable grâce à l’article L. 80 A du Livre des procédures fiscales, qui rend opposables les positions publiées de l’administration… jusqu’à leur remise en cause. C’est précisément ce qu’a amorcé une récente jurisprudence.
Une jurisprudence décisive : l’arrêt de la CAA de Paris du 28 mars 2025
Dans cette affaire (n° 23PA05320), les associés d’une société de travaux agricoles contestaient l’intégration, dans leurs recettes, des produits issus de la vente régulière de matériel agricole. Ces produits, bien que qualifiés d’exceptionnels au plan comptable, constituaient selon eux des éléments exclus du plafond d’exonération.
Mais la cour n’a pas retenu cette argumentation. Elle a considéré que ces ventes s’inscrivaient dans un cycle d’exploitation normal, structuré, et que leur récurrence démontrait leur lien direct avec l’activité. Elles devaient donc être prises en compte pour l’appréciation du seuil, en vertu d’une lecture économique du chiffre d’affaires.
Une nouvelle définition de la « recette professionnelle »
La cour s’appuie notamment sur l’article 512-2 du Plan comptable général, qui définit le chiffre d’affaires comme les produits issus de l’activité normale et courante de l’entreprise. Ainsi, dès lors que la vente d’un actif n’est ni isolée ni accessoire, elle doit être assimilée à une recette professionnelle, peu importe sa qualification comptable.
2 - Portée pratique : entre incertitude juridique et sécurité doctrinale
Le contribuable reste protégé… temporairement
Bien que la cour ait reconnu la nature professionnelle des recettes, elle a également affirmé que les contribuables étaient en droit de se prévaloir de la doctrine fiscale. Tant que celle-ci n’est pas rapportée, elle constitue un bouclier juridique opposable à l’administration, même si la jurisprudence prend une autre voie.
Un risque de requalification accru
Pour les entreprises réalisant des opérations récurrentes de cession d’actifs (véhicules, machines, brevets), l’intégration de ces recettes dans le seuil devient une hypothèse sérieuse. Cela pourrait priver certaines d’entre elles du bénéfice de l’exonération, notamment si ces opérations représentent une part significative de leur chiffre d’affaires.
Que faire en pratique ? Les conseils à retenir
Pour sécuriser sa position, chaque entreprise doit anticiper l’analyse de ses flux :
- Identifier les cessions régulières d’actifs : Si elles répondent à un cycle d’activité, elles peuvent être requalifiées comme recettes d’exploitation.
- Documenter le modèle économique : Démontrer que ces opérations sont accessoires ou exceptionnelles permet de justifier leur exclusion.
- Utiliser la doctrine à bon escient : Mentionner explicitement le BOFiP dans la documentation fiscale peut renforcer la position du contribuable.
- Demander un rescrit fiscal : En cas de doute, une position anticipée de l’administration reste l’option la plus sûre.
Une frontière mouvante entre exception et activité normale
L’arrêt rendu par la cour administrative d’appel de Paris consacre une évolution vers une lecture plus réaliste et économique du droit fiscal. Il remet en cause l’opposition rigide entre recettes exceptionnelles et recettes professionnelles, en privilégiant le fond sur la forme. Cette évolution incite les entreprises à revoir leur approche déclarative, à mieux documenter leurs pratiques de gestion des actifs, et à intégrer ces enjeux dans leur stratégie fiscale globale.
L’accompagnement par un professionnel du droit fiscal apparaît, plus que jamais, indispensable pour naviguer dans cette zone de tension entre droit écrit, pratique comptable et réalité économique.
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