Dans un environnement économique concurrentiel, les partenaires commerciaux recherchent la stabilité de leurs relations d'affaires. Cette stabilité est protégée par le droit français, notamment à travers les dispositions de l'article L. 442-1, II du code de commerce (anciennement L. 442-6, I, 5°), qui sanctionnent la rupture brutale, même partielle, d'une relation commerciale établie.
Cependant, lorsqu’une rupture ne consiste pas en une cessation totale des relations, mais en une baisse substantielle de commandes, les modalités d’évaluation du préjudice suscitent de nombreuses interrogations.
La récente décision de la Cour de cassation du 29 janvier 2025 (Cass. com., 29 janv. 2025, n°23-19.972) éclaire les praticiens sur la méthodologie à suivre pour calculer l’indemnisation due en cas de rupture partielle.

1 - Définir la rupture partielle d'une relation commerciale établie
La rupture partielle d'une relation commerciale suppose la poursuite d'échanges entre les parties, mais dans des conditions significativement dégradées.
A. Les éléments constitutifs
La jurisprudence identifie plusieurs critères pour caractériser une rupture partielle des relations commerciales établies :
- Une diminution importante et soudaine des volumes d'affaires[[Cass. com., 23 janv. 2007, n°04-17.951]] ;
- Une décision imputable au cocontractant, et non à des facteurs extérieurs tels qu’une crise économique[[Cass. com., 8 nov. 2017, n°16-15.285]] ;
- L'absence de préavis écrit approprié, malgré la durée et la stabilité des relations passées[[Cass. com., 26 nov. 2003, n°00-21.527]].
Le juge appréciera au cas par cas, à travers un faisceau d’indices, la réalité de la relation commerciale établie et le caractère brutal de la diminution.
B. L'étendue de la protection offerte
Même en cas de poursuite des relations commerciales, la brutalité de la modification unilatérale des conditions économiques justifie une réparation, dans le respect du principe de réparation intégrale du préjudice subi.
2 - Comment évaluer le préjudice en cas de rupture partielle ?
La décision Wipelec c/ Exxelia[[Cass. com., 29 janv. 2025, n°23-19.972]] offre une méthodologie rigoureuse pour évaluer le préjudice résultant d'une rupture partielle.
A. Le principe : perte de marge brute sur la durée du préavis
L’indemnisation vise à compenser la perte de marge brute qui aurait été réalisée si un préavis conforme aux usages du commerce avait été respecté. Il convient ainsi de :
- Déterminer la marge brute mensuelle moyenne, calculée sur les trois derniers exercices ;
- Multiplier cette marge par la durée du préavis normalement exigée.
Dans l'affaire précitée, la marge mensuelle de 15 261 € appliquée sur un préavis de six mois conduisait à une perte estimée à 91 566 €.
B. La déduction des marges réalisées pendant le préavis
Lorsque, malgré la rupture partielle, certaines commandes sont maintenues pendant la période correspondant au préavis non respecté, il est nécessaire de :
- Calculer le chiffre d’affaires généré au cours de cette période ;
- Appliquer le taux de marge sur coûts variables ;
- Déduire le montant ainsi obtenu de la perte de marge brute théorique.
Dans l’affaire Wipelec, la société a réalisé 13 877 € de chiffre d'affaires au second semestre 2018, soit une marge de 11 795 €.
C. L'interdiction de toute déduction postérieure
La Cour de cassation rappelle qu’aucune déduction des marges réalisées après l’expiration de la période de préavis n'est admise (Cass. com., 24 juin 2014, n°12-27.908).
Cette règle garantit que la réparation porte uniquement sur la perte imputable à la brutalité de la rupture, sans impact des évolutions commerciales ultérieures (Cass. com., 28 juin 2023, n°21-16.940).
3 - Les bonnes pratiques pour prévenir les contentieux
Face à la complexité des contentieux liés à la rupture partielle, plusieurs mesures peuvent être mises en œuvre par les entreprises pour limiter les risques.
A. Formaliser les relations commerciales
Un contrat écrit doit préciser :
- La durée de la relation commerciale envisagée ;
- Les modalités de résiliation et de réduction d'activité ;
- Les durées de préavis applicables en fonction de l'ancienneté de la relation.
B. Surveiller les indicateurs d'activité
Le suivi régulier des volumes d’affaires et des engagements contractuels permet d’anticiper toute rupture partielle non justifiée. Une baisse sensible doit être analysée rapidement et faire l’objet d’échanges écrits.
C. Réagir en cas de rupture brutale
En présence d’une rupture partielle suspecte :
- Documenter les variations de commandes ;
- Formaliser une protestation écrite au partenaire ;
- Saisir, le cas échéant, les juridictions compétentes sans tarder.
L’action en responsabilité doit être soigneusement argumentée, en apportant la preuve du caractère établi de la relation et de l'insuffisance du préavis accordé.
La rupture partielle d'une relation commerciale établie, lorsqu'elle est brutale et sans préavis suffisant, ouvre droit à réparation du préjudice subi. La décision du 29 janvier 2025 (Cass. com., 29 janv. 2025, n°23-19.972) confirme l'importance d'une approche rigoureuse et chronologique du calcul de l'indemnisation.
Pour les entreprises comme pour les praticiens du droit, la vigilance dans la gestion des relations commerciales et la maîtrise des critères d’évaluation du préjudice constituent des leviers essentiels pour sécuriser leur activité économique.