Lorsque surgit un conflit au sein d’une SARL révocation d’un gérant, contestation d’assemblée, rachat de parts la première décision stratégique n’est pas toujours juridique ; elle est procédurale. Quel juge saisir ? Un choix apparemment technique, mais lourd de conséquences : assigner devant la mauvaise juridiction, c’est exposer la société à une nullité, perdre de précieux mois – voire laisser la prescription jouer contre elle.
L’arrêt rendu le 28 mai 2025 par la chambre commerciale de la Cour de cassation (n° 24-14.148) remet les pendules à l’heure pour les dirigeants qui exercent une profession libérale sous forme de SARL.
1 - La règle directrice : la forme commerciale prime sur l’objet libéral
Le Code de commerce n’offre aucun répit à l’hésitation : « La société à responsabilité limitée est commerciale par la forme, quel que soit son objet » (art. L 210-1). Cette commercialité “par la forme” déclenche automatiquement la compétence du tribunal de commerce pour « les contestations relatives aux sociétés commerciales » (art. L 721-3 2°). Conséquence pratique :
- Révocation d’un gérant, action en responsabilité, nullité d’assemblée, blocage de dividendes : tous ces litiges internes se plaident devant le juge consulaire, même si la société facture des actes vétérinaires, architecturaux ou comptables, donc réputés civils.
Seules deux échappatoires existent :
- Le tiers non commerçant extérieur au pacte social bénéficie d’un droit d’option entre civil et commerce (Cass. com., 20 déc. 2023, n° 22-11.185).
- La société d’exercice libéral (SEL), régie par la loi du 31 décembre 1990 (art. L 721-5), relève du tribunal judiciaire.
En dehors de ces brèches, la voie est tracée : SARL = juge consulaire. L’arrêt Vet’amazones de 2025 balaie définitivement l’argument fondé sur la “nature civile” de la profession : tant que la société n’est pas une SEL, l’activité libérale ne déplace pas le litige vers le tribunal judiciaire.
2 - Sécuriser vos procédures : réflexes pour dirigeants et conseils
2.1 Choisir la bonne porte dès la première assignation
- Vérifiez la forme sociale : SARL ou SAS ? Direction tribunal de commerce. SEL ? Tribunal judiciaire.
- Identifiez le demandeur : associé, gérant, commissaire aux comptes ? Pas d’option. Tiers extérieur ? Option possible.
- Qualifiez le litige : s’il touche la vie interne (gérance, AG, parts sociales), le juge commercial est incontournable.
2.2 Limiter les risques de nullité et de prescription
- Clause statutaire : rappeler expressément la compétence consulaire pour dissuader les forums choisis à la hâte.
- Dossier probant : en cas de révocation, consignez les griefs, respectez le contradictoire, rédigez un procès-verbal détaillé.
- Calendrier maîtrisé : souvenez-vous que les obligations commerciales se prescrivent par cinq ans (art. L 110-4).
2.3 Anticiper via la structure sociétale
Envie d’un contentieux devant le juge civil ? Optez dès l’origine – ou transformez-vous – en SELARL, SELAS, SELASU. La mutation suppose unanimité (sauf clause contraire), commissaire à la transformation et visa de l’ordre professionnel ; un effort organisationnel qui se justifie uniquement si l’environnement judiciaire civil est considéré plus adapté à la profession.
Pour le chef d’entreprise, la compétence juridictionnelle n’est pas un détail : c’est la première étape de toute stratégie contentieuse. Dans une SARL libérale de droit commun, le tribunal de commerce reste le passage obligé. L’erreur de porte coûte du temps, de l’argent et, parfois, la recevabilité même de l’action. Vérifiez donc la forme sociale, repérez les rares exceptions, sécurisez vos statuts et formez vos équipes ; votre gouvernance n’en sera que plus robuste.
LE BOUARD AVOCATS
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