La téléconsultation, considérée il y a peu comme une modalité marginale de la relation patient-praticien, est désormais ancrée dans le paysage de la santé moderne.
Son essor s’explique à la fois par la volonté de faciliter l’accès aux soins, d’optimiser la gestion du temps médical et de répondre aux attentes d’un public de plus en plus connecté.
Au-delà des simples consultations de suivi, la question se pose de savoir si un arrêt de travail, document aux conséquences juridiques et économiques importantes, peut être délivré à distance.
Cet article propose d’analyser les implications légales et pratiques de cette démarche, en mettant en lumière la convergence de plusieurs sources de droit, la complexité de la mise en œuvre concrète et l’émergence d’un nouveau paradigme dans la pratique médicale.

1 - Cadre juridique et sources légales
1.1. Genèse de la téléconsultation dans le code de la santé publique
La reconnaissance légale de la téléconsultation n’est pas un simple effet de mode : elle découle d’un ensemble de mesures gouvernementales, progressivement intégrées au Code de la Santé Publique, visant à combler le déficit d’offre de soins dans certains territoires et à faciliter l’accès à un généraliste ou à un spécialiste pour tout patient le souhaitant.
Le législateur a ainsi prévu divers garde-fous afin que la qualité et la confidentialité du service soient assurées. Aux termes de ces dispositions, la téléconsultation se définit comme un acte médical réalisé à distance au moyen de technologies de l’information et de la communication.
Le praticien doit pouvoir recueillir un consentement libre et éclairé du patient, tout en lui expliquant les limites techniques et cliniques liées à l’absence de contact direct. Les principes déontologiques, applicables à toute consultation physique, demeurent en vigueur : secret professionnel, respect de la vie privée, devoir d’information et d’écoute du patient.
1.2. Droit de prescription et article L. 1110-4
En se fondant sur l’article L. 1110-4 du Code de la Santé Publique, on comprend que toute consultation, qu’elle soit présentielle ou à distance, peut aboutir à la délivrance d’une prescription médicale.
Un arrêt de travail constitue alors une forme particulière de prescription, permettant au patient, sous réserve de satisfaire aux conditions légales, de percevoir des indemnités journalières et d’être protégé vis-à-vis de son employeur.
Aucun texte ne prohibe la délivrance d’un tel document via une plateforme de téléconsultation, à condition que le professionnel soit habilité à poser un diagnostic dans le champ de sa compétence. En parallèle, la Caisse Primaire d’Assurance Maladie (CPAM) et le médecin-conseil conservent leur pouvoir de contrôle. Ils vérifient que la situation objective du patient, évaluée par la téléconsultation, justifie l’incapacité de travail.
Ainsi, l’autorité sanitaire peut éventuellement mettre en doute la décision si elle paraît fondée sur des informations incomplètes ou si la pathologie invoquée suppose, a priori, un examen clinique approfondi.
1.3. Les référentiels de l’Ordre professionnel
La question de l’arrêt maladie par téléconsultation fait également l’objet d’un regard attentif des Ordres professionnels, qu’il s’agisse de l’Ordre des médecins ou de l’Ordre des chirurgiens-dentistes.
Les référentiels établis rappellent que la qualité du diagnostic et la sécurité du patient restent prioritaires : ainsi, si la téléconsultation ne permet pas de recueillir suffisamment d’éléments pour assurer un diagnostic fiable, le praticien est tenu d’orienter le patient vers un rendez-vous physique ou vers le service d’urgences compétent.
Inversement, lorsque les informations fournies à distance (examen visuel, dossier médical numérique, descriptions précises des symptômes) sont jugées probantes, la délivrance d’un arrêt de travail ne contrevient à aucune règle légale ou déontologique.
2 - Mise en œuvre pratique et contraintes administratives
2.1. Organisation de la consultation à distance
Pour qu’une téléconsultation aboutisse à un arrêt de travail valide, le professionnel doit employer une plateforme sécurisée, reconnue pour son hébergement conforme aux exigences du Code de la Santé Publique.
Il lui appartient de vérifier l’identité du patient, souvent via un code personnel ou une procédure d’authentification renforcée. Dès que la consultation débute, une anamnèse minutieuse, s’appuyant parfois sur des images transmises par le patient, sur son historique médical ou sur des compte rendus d’examens antérieurs, se révèle essentielle.
Le praticien peut recourir à un questionnaire structuré pour déterminer la gravité des symptômes : date d’apparition, évolution, douleurs associées, fièvre éventuelle, troubles fonctionnels. La notion de responsabilité prime : si le diagnostic exige une palpation, une auscultation ou une prise de constantes, et que la téléconsultation n’est pas en mesure de répondre à ce besoin, l’arrêt doit être refusé et le patient orienté vers un cabinet ou un hôpital.
2.2. Formulation de l’arrêt de travail
Une fois qu’il juge l’arrêt nécessaire, le médecin ou le chirurgien-dentiste rédige un certificat d’interruption d’activité. Généralement, ce document prend la forme d’un fichier PDF sécurisé, que le patient pourra imprimer ou transmettre électroniquement.
La durée d’indisponibilité est fixée au regard de la pathologie identifiée : pour une pathologie aiguë mais modérée, un ou deux jours peuvent suffire ; pour une complication post-opératoire, la suspension peut s’étendre. L’essentiel est de justifier chaque jour d’arrêt par des arguments médicaux cohérents.
On précise souvent au patient le besoin de s’astreindre à un repos réel et de respecter d’éventuelles restrictions (par exemple, éviter de se déplacer ou de reprendre une activité sportive). Tout manquement pourrait faire l’objet d’un signalement, avec un éventuel retrait des indemnités journalières.
2.3. Transmission à la CPAM et éventuelles contestations
La Caisse Primaire d’Assurance Maladie doit recevoir les volets usuels de l’arrêt dans un délai, généralement, de quarante-huit heures. Le patient conserve un volet destiné à son employeur, afin de justifier son absence.
En cas de litige ou de doute, l’employeur ou la CPAM peuvent exiger des éclaircissements, voire exiger un contrôle effectué par un médecin-conseil.
Ce dernier analysera la cohérence du dossier : correspondance entre la pathologie invoquée et la durée de l’arrêt, pertinence de la téléconsultation pour poser un diagnostic suffisant.
S’il juge la prescription infondée, les indemnités peuvent être suspendues.
3 - Vers un nouveau paradigme : opportunités, limites et perspectives
3.1. Une flexibilité appréciable pour le patient
La délivrance d’un arrêt maladie à distance suscite un intérêt particulier pour les patients situés dans des zones dites “désertées” sur le plan médical ou dont l’état ne leur permet pas de se déplacer aisément.
On songe notamment aux femmes enceintes confrontées à un alitement précoce, aux personnes handicapées ou encore aux individus immunodéprimés. La téléconsultation, combinée à un arrêt de travail, leur évite des trajets contraignants et réduit le risque de contamination en salle d’attente, tout en leur garantissant l’accès à des professionnels éventuellement situés dans une autre région.
3.2. Un risque de dérive ou d’abus ?
La simplification qu’apporte la téléconsultation ne doit pas conduire à des abus. La crainte réside dans la possibilité pour certains patients de solliciter un arrêt maladie sans motif sérieux, en profitant du caractère virtuel pour masquer partiellement leur véritable état.
Cependant, la sanction du médecin-conseil et la vigilance des caisses limitent en pratique ce risque. Le praticien qui délivre l’arrêt demeure responsable de la validité de son diagnostic.
S’il s’avère que l’arrêt était injustifié, sa responsabilité professionnelle pourrait être engagée, sans compter les conséquences pour le patient lui-même (refus d’indemnisation, voire soupçon de fraude).
3.3. Cohabitation avec la consultation traditionnelle
Le Code de la Santé Publique n’envisage pas la téléconsultation comme un succédané absolu de la consultation traditionnelle, mais comme un outil complémentaire.
Les pathologies complexes ou les interventions qui requièrent un examen complet motivent toujours une rencontre physique. Il se dégage un consensus selon lequel la téléconsultation est un atout, à manier avec discernement.
Le praticien doit idéalement connaître le patient ou avoir accès à un dossier complet, facilitant l’évaluation d’éventuels facteurs de gravité. Dans cette optique, plusieurs plateformes de téléconsultation prévoient déjà la possibilité de lier l’historique du patient à son compte.
Le praticien consulte alors les éléments pertinents (résultats biologiques antérieurs, compte rendus d’hospitalisation) avant de conclure à l’opportunité d’un arrêt maladie.
Cette intégration des données constitue une étape vers un dossier médical partagé plus performant, garantissant une amélioration de la qualité des soins à distance.
4 - Conclusion
La téléconsultation et la délivrance d’un arrêt maladie à distance constituent un tournant dans la manière dont le système de santé conçoit l’accès aux soins et la relation de confiance entre praticien et patient.
Du point de vue juridique, les textes offrent déjà un fondement solide à cette modalité d’exercice, pour peu que la rigueur clinique soit au rendez-vous. Les dispositions du Code de la Santé Publique, relatives tant à la définition de l’acte à distance qu’à l’obligation de sécurité et de secret professionnel, rappellent les responsabilités du professionnel : recueillir des éléments suffisants, transmettre un arrêt justifié et, si besoin, orienter le patient vers une consultation en présentiel.
Cette évolution ne doit pas se lire comme un abandon de la consultation traditionnelle, mais plutôt comme une alternative, ou un complément, répondant aux besoins actuels de mobilité réduite, de gain de temps et d’adaptation aux contraintes quotidiennes des usagers. Grâce à la traçabilité et aux contrôles effectués par la CPAM, le risque d’abus demeure circonscrit, tandis que le patient tire avantage d’une facilité d’accès qui, parfois, peut s’avérer déterminante.
Ainsi, en respectant les critères légaux et déontologiques, l’arrêt maladie prescrit en téléconsultation contribue à moderniser la pratique médicale, sans sacrifier la qualité ou la pertinence de la prise en charge.
LE BOUARD AVOCATS
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